Par Pierre Boisselet
Sciences : Neil Turok, l’astrophysicien qui révolutionne la recherche en Afrique
Ce Sud-Africain est devenu l’un des plus grands astrophysiciens du monde. Son obsession actuelle ? Faire entrer la prochaine génération de chercheurs africains dans l’élite mondiale.
Il porte des lunettes, a les cheveux en bataille et la peau blanche comme une paillasse de chimiste. Physiquement, Neil Turok est une caricature de scientifique occidental. Les heures passées dans la pénombre des laboratoires ont décoloré l’épiderme de ce Sud-Africain. Elles ont aussi fait de lui une pointure mondiale de la « cosmologie », l’étude de l’univers. À 58 ans, il dirige le Perimeter Institute, à Waterloo, au Canada. « Peut-être le meilleur centre de recherche du monde en physique théorique », avance cet homme modeste et accessible.
Dans le Centre de conférences de Kigali, où nous le rencontrons, il est pourtant venu parler d’un autre de ses dadas : l’Institut africain des sciences mathématiques (Aims). Cette université panafricaine d’un nouveau genre, il l’a fondée en 2003, en réponse à un défi lancé quelques années plus tôt par son père, l’homme politique Ben Turok.
Mon père m’a dit : “Nous sommes le premier gouvernement noir à la tête d’une économie industrialisée. Nous devons réussir.” »
Ce dernier et sa femme venaient d’être élus députés. Dans la nouvelle Assemblée, le seul autre couple était celui de Nelson et Winnie Mandela… Les Turok ont beau être blancs, ce sont des figures de la lutte antiapartheid. « Mon père m’a dit : “Nous sommes le premier gouvernement noir à la tête d’une économie industrialisée. Nous devons réussir. Comment peux-tu aider ?” »
À cette époque, Neil Turok vit avec sa femme, psychologue, au Royaume-Uni, où il dirige le département de physique mathématique de Cambridge. Avec le célèbre Stephen Hawking, il passe ses journées à échafauder des théories sur la création de l’univers, loin de la politique sud-africaine. Mais il n’a rien oublié de sa tumultueuse jeunesse.
Il naît en 1958, sous le régime de l’apartheid. Ses parents sont des esprits libres qui, pour vivre ensemble, ont déjà dû batailler contre leurs familles. Celle de Ben est juive lituanienne. Celle de Mary adepte de la « science chrétienne », église dont les fidèles refusent d’être soignés car ils pensent que la prière suffit… « Ma mère s’est rebellée contre ça, confie-t-il. À l’université, c’était une vraie hippie, elle se baladait en sari, se peignait les ongles en vert et fumait la pipe ! »
Le gouvernement de l’époque, lui, n’a aucune tendresse pour la jeunesse contestataire. En 1961, alors que Neil n’a que trois ans, Ben et Mary paient leur militantisme par de la prison : trois ans et demi pour monsieur, six mois pour madame. Lorsqu’ils sont libérés, la famille se réfugie au Kenya, puis en Tanzanie, dans l’euphorie de l’indépendance.
Les Turok y sont accueillis par le président Julius Nyerere en personne. Mais, persona non grata en Afrique du Sud, ils s’installent bientôt au Royaume-Uni pour offrir à leurs enfants une meilleure scolarité. « C’était difficile, se souvient-il. Il faisait gris, les gens étaient froids. Mon cœur était resté en Afrique. »
Retour sur le continent
À 17 ans, le jeune homme retourne sur le continent. Il enseigne bénévolement les sciences dans la mission protestante d’un village du Lesotho. Connaissant l’engagement de la famille, Chris Hani, légendaire guérillero antiapartheid, vient l’y trouver pour lui demander de transporter des armes. « En tant que blanc, j’éveillais moins les soupçons, s’amuse-t-il. J’étais partant, mais ma mère a catégoriquement refusé. » À raison, car le village est en réalité truffé de faux humanitaires, espions du régime de Pretoria. Neil Turok est à son tour interdit de séjour chez lui.
Mais autre chose le frappe lors de cette expérience. « Mes brillants élèves africains finiraient, au mieux, employés dans une mine. Tout ce talent gâché m’écœurait », dit-il. En Afrique du Sud, la situation était pire : « On empêchait les Noirs d’accéder à tout enseignement technique : le régime jugeait cela dangereux. »
L’Aims doit contribuer à rattraper ce retard. Turok l’installe d’abord dans un hôtel désaffecté près du Cap. « Nous n’avions ni argent ni reconnaissance, et nos étudiants étaient défavorisés, se souvient-il. Il fallait être plus intelligents et repenser l’université. » Turok abolit tout système de notation et mise sur la capacité des étudiants à apprendre par eux-mêmes. Fort de son réseau, il invite quelques-uns des meilleurs scientifiques mondiaux.
Et ça marche : l’Aims dispose aujourd’hui de six campus répartis sur le continent et forme 280 étudiants d’élite chaque année. Mais Turok n’en a pas fini avec les projets fous. Il veut désormais faire de l’Afrique un leader de l’informatique quantique. Son Perimeter Institute en est, pour l’instant, le fer de lance. « Le continent offre des perspectives dans ce domaine, assure-t-il. Aux États-Unis, les sciences ne sont plus une priorité, et les grandes entreprises se sont technologiquement assoupies. »
En s’appuyant sur l’Aims, cet admirateur du président rwandais, Paul Kagame – qui l’a nommé coprésident du National Science and Technology Council –, s’apprête à inaugurer, à Kigali, en septembre, le Quantum Leap Africa, premier centre de recherche du continent sur les « sciences quantiques ». Le but : en faire un laboratoire à la pointe de la recherche mondiale en dix ans.
Source : http://www.jeuneafrique.com
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