Au Mali, « la France prête trop d’attention au militaire, pas assez au terreau du djihadisme »
Propos recueillis par Catherine Gouëset, publié le
Emmanuel Macron est au Mali pour soutenir les soldats français de l’opération Barkhane. Le traitement militaire de la crise est pourtant insuffisant, juge Human Rights Watch.
Pour son premier voyage hors d’Europe, Emmanuel Macron a choisi de se rendre au Mali, afin de marquer son soutien à l’engagement français dans la lutte contre les djihadistes au Sahel. Ce déplacement intervient un peu plus de quatre ans après le début de l’intervention française dans ce pays. Déclenchée en janvier 2013 pour stopper la progression des islamistes armés qui avaient pris le contrôle d’une grande partie du Nord du Mali, l’opération Serval a depuis été remplacée par l’opération Barkhane. Le Mali est pourtant loin d’avoir retrouvé la stabilité. L’Express fait le point avec Corinne Dufka, directrice adjointe pour le programme Afrique de Human Rights Watch.
Où en est la situation au Mali, quatre ans après le début de l’intervention française?
Corinne Dufka: l’intervention militaire française a pendant un certain temps été efficace pour chasser les djihadistes du Nord du Mali. Mais elle a eu des effets secondaires qui ont compliqué la situation dans le reste du pays. Les groupes islamistes armés sont descendus vers le sud.
Ils sont désormais très implantés dans cette région plus densément peuplée que le nord du pays. Au plan militaire, il était certainement plus facile d’agir contre des convois militaires dans une zone désertique que dans le Mali central où les djihadistes sont bien installés parmi la population.
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Au final, la situation s’est globalement détériorée ces dernières années. Les groupes djihadistes ont traversé la frontière du Burkina Faso et du Niger. Et aujourd’hui, la vie et les moyens de subsistance des civils dans cette région sont gravement menacés par la criminalité, les attaques de groupes armés islamistes et la violence communautaire.
Dans les régions où ils sont implantés, les djihadistes font régner la terreur: ils ont fermé des écoles, imposent leur version ultrarigoriste de la charia, multiplient les exécutions sommaires de responsables locaux ou de personnes soupçonnées d’être des informateurs des autorités. Mais ils ne s’imposent pas que par la peur.
C’est-à-dire?
Ils ont développé une stratégie d’implantation locale. Ils trouvent porte ouverte à leur propagande en s’appuyant sur les maux qui gangrènent le Mali depuis des décennies: la mal-gouvernance, la faiblesse de l’État face au banditisme, l’impunité.
Un soldat français déployé à Gao au Mali, avant la visite du président Macron, le 19 mai 2017.afp.com/CHRISTOPHE PETIT TESSON
Je me rends tous les quatre mois dans cette région. J’ai recueilli de nombreux témoignages prouvant leur habileté. Ils organisent des rassemblements dans les villages et parviennent à recruter en dénonçant la corruption, les défaillances de la justice. Ils jouent le rôle d’arbitres dans les petits conflits locaux, y compris parfois dans des différents interethniques. Ils ont une très bonne connaissance du tissu ethnique et sociétal local. Ils ont par exemple su tirer parti des frustrations des catégories inférieures de la population peule, un groupe ethnique très hiérarchisé. Enfin, leurs moyens financiers peuvent attirer des jeunes privés de toute perspective.
Comment réagit l’État malien?
Bamako refuse d’admettre que la mal-gouvernance est la principale racine des maux de la région. Et à ma connaissance, aucun des abus commis par les forces de l’ordre depuis 2013 n’a été jugé.
Paris, comme les puissances régionales prêtent beaucoup trop d’attention à l’aspect militaire de la lutte contre les djihadistes, pas assez au terreau qui l’alimente.
Certes, on entend souvent dire sur place que la situation serait pire sans l’intervention de la France. Même si l’on peut déplorer au moins une bavure attribuée à l’armée française, en novembre dernier près de Kidal, où un garçon d’une dizaine d’années pris pour un djihadiste aurait été tué par l’armée française qui l’aurait ensuite enterré en catimini. HRW demande à la France qu’elle rende public le rapport sur cet incident.
Mais d’une manière générale, d’après les témoignages que nous avons recueillis, il semble que la présence de l’armée française a joué un rôle de modération auprès de l’armée malienne. Les ex-détenus que nous avons interrogés disent que le comportement des militaires maliens s’est amélioré. Les exactions dont elle était coutumière ont diminué.
Quelles sont les pistes pour sortir de cette crise?
Il faut renforcer le système judiciaire et mettre fin à cette culture de mauvaise gouvernance, La corruption doit être combattue non seulement au plus haut niveau, mais aussi au quotidien. Celle des soldats qui rançonnent les villageois qui se rendent au marché, qui font payer les familles pour libérer les détenus…
C’est avant tout au gouvernement malien de résoudre cette situation, mais la France pourrait faire pression sur le Mali pour qu’il s’acquitte de ses obligations à l’égard de sa population.
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